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Mary Jayne Gold     Marseille Année 40

Marseille Année 40
par Mary Jayne Gold

traduction par Alice Seelow
Éditions Phébus, 2001

 

PROLOGUE

En 1939, j’étais une jeune fille de la bonne société américaine protestante résidant à Paris dans un appartement de la très élégante avenue Foch. Je partageais mon temps entre cette ville, Londres et les stations chic, me sentant chez moi aussi bien à Cannes, à Biarritz, à Majorque qu’à Saint-Moritz. Je sillonnais la France, l’Angleterre et l’Italie du Nord plusieurs fois par an pour rendre visite à mes amis et admirer églises et musées. Je skiais tous les hivers, pilotais mon propre avion et hantais les cocktails, les soirées, les grands galas, habillée pour toutes les circonstances par la haute couture parisienne.

C’était une époque agréable et insouciante, où le temps ne comptait pas, une vie où, sans avoir réservé, nous avions dans le meilleur hôtel une chambre qui nous attendait, nous autres gens de l’élite.

La déclaration de guerre sonna le glas de cette existence dorée. La première année, celle de la drôle de guerre, fut plutôt longuette. Il ne se passait pas grand-chose sur les fronts militaires et il n’y avait pas grand-chose non plus à faire à l’arrière; sinon que l’on savait que cela ne pouvait pas durer, et aussi qu’un vague sentiment d’angoisse nous envahissait, de jour en jour plus intense. C’est alors qu’il survint – le tremblement de terre, s’entend. Je me retrouvai alors sur les routes congestionnées de France, fuyant devant l’armée allemande.

Les bouleversements qui accompagnèrent la défaite de la France me jetèrent, en même temps que des milliers de réfugiés français et étrangers, dans les rues de Marseille. J’avais l’intention de mettre de l’ordre dans mes papiers et de rentrer aux États-Unis. Mais il se trouva que je me laissai entraîner en quelques jours dans une relation avec un jeune aventurier qui venait de déserter la Légion étrangère. Quelques semaines plus tard, je rejoignais le «Centre américain de secours» de Varian Fry, qui préparait l’opération «Mouron Écarlate» consistant à faire secrètement sortir de France, par des moyens légaux ou illégaux, des centaines de réfugiés antinazis, aussi bien juifs que non juifs. A ce moment sans précédent de ma vie, je décidai immédiatement de rester à Marseille. L’année 1940-1941 se révéla une année très particulière pour une jeune fille de la société huppée d’Evanston, banlieue de Chicago.

Le monde démocratique avait assisté la gorge nouée à la pénétration des forces allemandes en Hollande et à l’invasion de la Belgique et du nord de la France. Paris fut occupé un peu plus d’un mois après l’attaque initiale. Dans les jours suivants, les Clippers américains, gigantesques hydravions transatlantiques, apportaient à New York les films des troupes hitlériennes victorieuses descendant les Champs-Élysées au pas de l’oie. Tous les Américains purent voir le maudit drapeau orné de sa croix aux branches coudées flotter sur l’Arc de triomphe. Le monde pouvait à peine en croire ses yeux. Tout s’était passé si vite! Devant ce triste tableau, on frémit aussi bien dans les salons que dans les sphères intellectuelles. Les uns comme les autres considéraient la «Ville lumière» comme le lieu où leur âme avait sa résidence secondaire.

A New York, tous ceux qui, américains ou étrangers, savaient lire (ou écrire) entre les lignes des journaux, tous ceux qui faisaient partie du monde des arts et des lettres et qui avaient contribué à leur épanouissement savaient que les valeurs universelles héroïquement servies et entretenues à coups de sacrifices au long des siècles couraient maintenant le danger d’être piétinées, balayées. Dans l’immédiat, la victoire allemande signifiait que les opposants au fascisme venus de tous les pays de l’Europe occupée qui avaient trouvé en France un asile politique étaient dès lors pris dans les rets de la France occupée.

Leurs craintes se virent confirmées quand ils lurent les termes de l’armistice signé par Pétain. Par l’article 19, les Français étaient tenus de livrer sur demande tous les Allemands désignés par Berlin. En outre, le nouveau gouvernement s’engageait à s’opposer à la fuite des Allemands vers les possessions françaises d’outre-mer ou vers l’étranger. Cette mesure s’étendit bientôt à toute personne, originaire d’un pays de l’Europe occupée, que les Allemands seraient en droit de réclamer. En d’autres termes, les ennemis du régime hitlérien seraient mis à sa disposition, certains dans les camps d’internement, d’autres laissés en liberté jusqu’au moment où la Gestapo pourrait opérer ses choix discrétionnaires.

Ces événements firent crépiter les fils téléphoniques entre les libéraux informés, que ces nouvelles inquiétaient. Certains groupes commencèrent à passer à l’action. Le Dr Reinhold Niebuhr, éminent théologien et président des American Friends of German Freedom (Les Amis américains d’une Allemagne libre, AFGF), déclara l’état d’urgence. Il avait fondé cette organisation en 1936 en vue de soutenir les socialistes clandestins appartenant au mouvement antinazi qui s’était formé en Allemagne. D’éminents membres des milieux religieux, syndicaux et politiques se joignirent à Niebuhr, tels Norman Thomas, candidat perpétuel à la présidence de la liste socialiste qui, dans ses dernières années, se vit appeler «la conscience de l’Amérique», l’influent Karl Frank (alias Paul Hagen), qui dirigeait en fait les AFGF et avait été le chef de l’association Neu Beginnen («Nouveau début», en allemand), formée de socialistes de gauche actifs au sein de la résistance allemande… Cette organisation avait maintenu un réseau de contacts le long des frontières de l’Allemagne avec des membres de la clandestinité dispersés à l’intérieur du pays. Ces contacts étaient maintenant rompus; ceux qui les avaient si longtemps maintenus héroïquement devaient être sauvés.

Quelques jours après la signature de l’armistice franco-allemand, le 25 juin 1940, les AFGF organisèrent un déjeuner d’environ deux cents personnes à l’Hôtel Commodore de New York, afin de rassembler des fonds. Le Dr Frank Kingdon, éminent universitaire méthodiste, présidait le déjeuner. Raymond Gram Swing, l’un des commentateurs de la radio nationale les plus éloquents et les plus aimés du public, ainsi que Karl Frank, exposèrent la situation désespérée des réfugiés. Reinhold Niebuhr, fait exceptionnel, fit appel à la générosité de l’auditoire. Des ordres de virement en blanc furent disposés devant chaque place. Quand les hôtesses commencèrent à circuler autour des tables pour les ramasser, une vague d’enthousiasme souleva l’auditoire. Certains s’engagèrent, qui à donner de l’argent, qui à rendre des services. Certains se levèrent pour parler. Parmi eux Louis Fischer, doyen des correspondants de presse à l’étranger et l’un des premiers journalistes américains accrédités en Union soviétique dans les années 1920. Erika Mann, fille de Thomas Mann, le grand homme de lettres allemand, déclara que son père, qui se trouvait alors en Californie, où il dispensait de l’aide comme s’il était lui-même une organisation de secours, recevait tous les jours des nouvelles d’éminents artistes et écrivains réfugiés en France. Elle proposa sa collaboration ainsi que celle de son père. D’autres prirent la parole : il fallait à tout prix créer une organisation qui viendrait en aide aux victimes de toutes nationalités qui avaient servi la cause antinazie.

Les organisateurs du déjeuner approuvèrent avec gratitude les propositions de l’auditoire. Cet après-midi-là fut fondé l’erc. Il fut mis sur pied en trois semaines. Le Dr Kingdon en accepta la présidence. Sous la direction de Karl Frank, le personnel des AFGF fut mis à la disposition du Comité et un bureau fut ouvert dans un grand immeuble. Mildred Adams, bien connue dans les cercles philanthropiques et rompue au travail social, fut nommée secrétaire, la jeune et fringante Ingrid Warburg, nièce de Felix Warburg, le Rothschild de la Scandinavie, eut le poste de principale assistante du président. Joseph Buttinger, chef émigré des socialistes autrichiens révolutionnaires, joua un rôle clé en tant que conseiller et collecteur de soutiens financiers. Parmi toutes ces personnes, importantes ou pas, Anna Caples, épouse de Karl Frank, fut sans doute la plus enthousiaste et la plus qualifiée. Elle m’a, lors de l’écriture de ce livre, communiqué ses souvenirs et prêté une documentation précieuse sur cette naissance mouvementée. Harold Oram, qui avait organisé le déjeuner réussi du Commodore, fut engagé en qualité de prospecteur financier. Oram était un jeune diplômé en droit qui avait été profondément troublé par le renversement de la république d’Espagne. Il avait travaillé au Comité américain de soutien à la Démocratie espagnole, mais s’en était séparé quand les communistes s’y étaient infiltrés. Il arrivait à l’erc fraîchement formé, muni non seulement d’une grande compétence dans le domaine de la collecte de fonds, mais encore d’une liste secrète de riches Américains qu’avait dressée le Comité américain de soutien à la Démocratie espagnole. La fonction d’Oram était de la plus haute importance. Il n’y avait pas de meilleur moyen, pour résoudre le problème des réfugiés, que de leur obtenir un visa américain; mais l’obtention d’un tel visa était subordonnée à une couleur politique recevable, ainsi qu’à un certificat, signé d’un parrain américain, attestant que l’intéressé n’était nullement voué à devenir un assisté. Or ces deux garanties, le Comité pouvait les fournir. Le seul problème était que le quota – c’est-à-dire la limite à ne pas dépasser pour accueillir, pays par pays, des migrants – était si restreint que le plafond avait été atteint plusieurs années à l’avance.

Sollicitée par Karl Frank et Joseph Buttinger, Eleanor Roosevelt s’était engagée à leur apporter toute l’aide qu’elle pourrait. Aussi, dès que l’erc fut constitué, les deux hommes demandèrent-ils à la rencontrer. Elle les invita dans son appartement de Gramercy Park à New York.

Mme Roosevelt avait déjà été inondée d’appels désespérés concernant des demandes de visas. De plus, Albert Einstein l’avait avertie que «le Département d’État avait érigé un mur de mesures bureaucratiques entre les victimes de la cruauté fasciste et la sécurité des États-Unis». Les deux hommes produisirent leur liste de personnalités antifascistes en danger. Puis ils expliquèrent que la situation créée depuis peu en France nécessitait l’octroi de nombreux visas.

Dans ses mémoires, Joseph Buttinger écrit : «… Après une brève discussion, Mme Roosevelt décida d’appeler son mari à la Maison-Blanche, ce qu’elle fit en notre présence. (Karl) Frank et moi-même fûmes grandement étonnés et fortement impressionnés d’entendre Mme Roosevelt, après qu’elle eut essayé pendant vingt minutes de persuader son mari au moyen d’arguments raisonnables, terminer la conversation sur cette menace : “Si Washington refuse d’accorder ces visas sans délai, les leaders émigrés allemands et américains, aidés par leurs amis américains, loueront un bateau pour faire traverser l’Atlantique au plus grand nombre possible de réfugiés en danger. Si nécessaire, le bateau croisera à faible distance de la côte Est jusqu’à ce que le peuple américain, de colère et de honte, force le président et le Congrès à donner à ces victimes des persécutions politiques l’autorisation de débarquer!”»

Mme Roosevelt garda la liste de l’ERC et l’envoya personnellement au Département d’État. Après quoi elle entreprit de harceler le sous-secrétaire d’État Sumner Welles, qui lui prêta une oreille bienveillante. Plus tard, lorsqu’elle entendrait parler des retards de l’administration, elle devait lui écrire : «N’y a-t-il pas moyen d’obtenir de notre consul à Marseille qu’il aide quelques-unes de ces personnes?» et aussi : «J’aimerais un rapport m’expliquant pourquoi… etc.»

Ce fut en grande partie grâce à la persévérance d’Eleanor Roosevelt que le ministère des Affaires étrangères américain dépassa les quotas fixés et accorda des visas spéciaux à quelques antifascistes. Karl Frank lui en sut gré, qui écrivit : «Je constate que c’est grâce à l’intérêt que vous leur avez porté que des centaines de gens ont été sauvés.»

Les membres du Comité étaient au courant des difficultés que ceux qui fuyaient Hitler devaient affronter. Ils connaissaient l’existence des camps de concentration et savaient que les Français refusaient d’accorder des visas de sortie; ils savaient que les personnes en danger devaient passer par l’Espagne et le Portugal pour pouvoir traverser le vaste Atlantique. Ils devinaient que les ressources des réfugiés diminuaient de façon inquiétante et se doutaient de l’inextricable imbroglio de tracasseries administratives dans lesquelles se trouvait pris un étranger en temps de guerre et de troubles. En outre, les «clients» étaient à présent éparpillés aux quatre vents; le Comité hésitait à entrer en contact avec les personnes dont les noms restaient sur la liste de peur de compromettre les intéressés. Il devint évident qu’il fallait envoyer sur place quelqu’un qui pourrait enquêter et offrir de l’aide. L’assistance serait en partie légale, en partie non. Ce serait une mission délicate et dangereuse.

A la mi-juillet, des membres des AFGF et de l’ERC se rencontrèrent dans l’appartement d’Ingrid Warburg sur la 54e Rue. Ils débattirent longuement sur plusieurs candidats possibles, correspondants étrangers, chefs syndicalistes et professeurs d’université connus du groupe. Tous furent rejetés pour une raison ou pour une autre. La réunion prit fin sur le vague espoir que quelqu’un finirait bien par se présenter.

A cette réunion assistait un homme d’une trentaine d’années du nom de Varian Fry. Il était selon son habitude impeccablement habillé, et une paire de lunettes à monture d’écaille chevauchait son large nez triangulaire. Il écouta la discussion avec une émotion qui, pour être retenue, n’en était pas moins grande : c’était un homme qui croyait passionnément en la liberté et les droits de l’homme. Fry venait de ce qu’on appelle une «bonne famille»; il avait fréquenté Hotchkiss, l’une des meilleures écoles préparatoires, et était diplômé de Harvard. Après l’université, il s’était intéressé à la politique et, comme ses opinions étaient libérales et que c’était un garçon intelligent et spirituel, il fut bientôt en très bons termes avec des personnes telles que Roger Baldwin, chef de l’American Civil Liberties League, Norman Thomas et Karl Frank. Fry avait été rédacteur en chef de revues libérales et rédigeait alors des brochures analytiques pour une prestigieuse association de politique étrangère. Il était membre du parti libéral de New York et du Harvard Club. Varian Mackey Fry était considéré comme un jeune homme prometteur, un peu réservé peut-être, mais franc et doué.

Très impressionné par ce qu’il avait entendu ce soir-là, et après en avoir discuté avec sa femme Eileen, il appela le secrétaire de l’ERC pour lui faire savoir qu’il se tenait à la disposition du Comité au cas où personne d’autre ne se présenterait.

Dans les jours qui suivirent, Varian reçut un coup de fil de son vieil ami Karl Frank : celui-ci le priait instamment de venir le soir même. Après lui avoir exposé le danger imminent qui guettait nombre de ses vieux camarades, Karl annonça sans ambages à Varian qu’il était l’homme de l’emploi. Varian devrait se rendre à Marseille, qui serait le centre des événements. Il n’y avait pas de temps à perdre.

Avant de quitter l’appartement de Karl et d’Anna ce soir-là, Varian promit d’étudier sérieusement la question, si vraiment «on ne trouvait pas de meilleur candidat».

Les jours passaient et personne ne se manifesta. Des années plus tard, Varian écrivait : «Finalement, je me suis porté volontaire. Je ne sais toujours pas pourquoi je l’ai fait… Je n’avais jamais eu la moindre expérience dans la clandestinité… Je n’étais pas tout à fait un inconnu pour la Gestapo : j’avais écrit un article sur la façon dont les nazis traitaient les Juifs… Je crois que j’ai offert mes services par impatience devant le temps perdu à essayer de trouver un agent… Sans doute mes manières et mon apparence n’invitaient-elles pas à penser que j’étais un risque-tout.»

Cette année-là, à Marseille, Varian me raconta comment, l’été 1935, il fut témoin d’agressions organisées contre les Juifs. Au bout du Kurfürstendamm de Berlin, des sa obligèrent les voitures à s’arrêter, ouvrirent les portières et emmenèrent de force ceux qu’ils supposaient être juifs. Les petites brutes crachèrent sur leurs victimes et les tabassèrent. Les hommes criaient, les femmes pleuraient. Varian vit le sang et les larmes couler sur de nombreux visages. Plus tard dans un café, il assista à un spectacle épouvantable : deux SA s’approchèrent de la table d’un consommateur qui avait le type juif. Quand le pauvre homme étendit le bras pour saisir son verre de bière, l’un d’eux, d’un prompt coup de couteau, cloua sa main à la table de bois. La victime poussa un hurlement et se courba, paralysé de douleur. Le voyou cracha une injure où il était question du sang juif sur les lames allemandes, retira son couteau et s’en alla d’un pas arrogant. Varian l’entendit glisser à l’oreille de son compagnon : «Aujourd’hui, c’est la fête, pour nous!»

Varian m’avait raconté la scène à mi-voix, comme dans un murmure – c’est ainsi qu’il parlait quand une grande émotion le saisissait. Il me semble que cette histoire de main transpercée devant un bock n’est pas étrangère à sa décision de se porter volontaire.

Alors que Varian Fry achevait ses préparatifs, des représentants des groupes émigrés allemands, autrichiens, tchèques, italiens et même français lui fournirent des listes de personnes en danger. Le musée d’Art moderne de New York et la New School for Social Research y ajoutèrent leurs noms. La centrale syndicale American Federation of Labor envoya son propre éclaireur, le Dr Frank Bohn. Il partit quelques semaines avant Varian.

Toujours sous l’influence de Mme Roosevelt, Sumner Welles remit à Varian une lettre de recommandation.

Se voyant peut-être appelé à jouer au diplomate, il alla s’acheter les vêtements appropriés. S’il ne trouvait pas les réfugiés, qui se cachaient peut-être au fond d’obscurs villages, il se dit qu’il traverserait la Provence à bicyclette pour les dénicher. Il avait entendu dire qu’on ne trouvait pas d’essence. Cela tombait bien, il aimait le grand air et son passe-temps favori était d’observer les oiseaux; ainsi il aurait le temps de se familiariser avec quelques espèces méditerranéennes tout en sauvant l’élite culturelle de l’Europe centrale…

Il fut décidé qu’il partirait sous les auspices du comité mondial de la Young Men’s Christian Association, scouts américains connus sous le sigle ymca, officiellement pour évaluer les besoins en secours de la France. «Je pars en mission de charité», écrivit-il à Mme Roosevelt.

Il s’envola vers le milieu du mois d’août 1940 dans un Clipper à destination de Lisbonne, avec escale aux Açores pour faire le plein. Il arriva à Marseille quelques jours plus tard, ayant en poche sa liste de noms, la lettre de Sumner Welles et quelques milliers de dollars, un acompte, lui avait-on certifié. Ce qui comptait surtout pour lui alors était une foi opiniâtre profondément ancrée dans la liberté et la dignité de l’homme.

C’est vers cette époque qu’arriva aussi à Marseille une sorte de jeune réfugié dont le cas n’avait rien à voir avec la mission de Varian. Il s’agissait d’un jeune homme qui avait trouvé asile à la Légion étrangère, parce qu’il était poursuivi à la fois par le milieu et par la police.

Je n’avais rien à voir dans tout cela – enfin pas encore. Mais, dans la confusion et la détresse qui suivirent l’effondrement de la Troisième République, nos chemins à tous devaient se croiser dans le grand port de Marseille, la plus grande ville de l’État français du maréchal Pétain.

On estime que le Comité de Secours s’est occupé de près de deux mille réfugiés. Parmi ceux-ci plus de mille ont pu quitter la France par des moyens légaux ou clandestins. Pour les autres, le Comité est intervenu directement pour les faire sortir de prison ou des camps, leur a trouvé des planques ou obtenu de faux papiers d’identité, ou encore leur a versé une prestation hebdomadaire le plus longtemps possible.

Voici une liste – partielle – de certains des noms connus, ceux que j’ai pu retrouver. Beaucoup étaient très célèbres il y a quarante ans; d’autres le sont encore aujourd’hui. A cette liste devraient s’ajouter les centaines d’autres hommes et femmes, dont le courage – et la survie – ont enrichi celle de notre pays :

ART

Marc Chagall, peintre
Marcel Duchamp, peintre
Max Ernst, peintre
Wifredo Lam, peintre
Jacques Lipchitz, sculpteur
Chaim Lipnitski, photographe
André Masson, peintre
Charles Sterling, ancien directeur du musée Ingres de Montauban, puis conservateur au Metropolitan Museum de New York
Bruno Strauss, critique d’art
Remedios Varo, peintre
Paul Westheim, critique d’art
Ylla (Camilla Koffler), photographe

théâtre, cinéma et musique

Hans Aufricht, producteur de théâtre
Edvard Fendler, chef d’orchestre
Erich Itor-Kahn, pianiste
Heinz Jolles, pianiste
Wanda Landowska, claveciniste
Lotte Leonard, chanteuse
Alma Mahler Werfel, muse
Max Ophüls, réalisateur de cinéma
Poliakoff-Litovzeff, producteur de théâtre

auteurs et éditeurs

Hannah Arendt, écrivain
Georg Bernhard, journaliste
André Breton, poète, écrivain, artiste
Heinrich Ehrmann, économiste
Lion Feuchtwanger, romancier
Leonard Frank, romancier
Giuseppe Garetto, romancier
Oscar Goldberg, érudit
Hans Habe, romancier
Konrad Heiden, écrivain, biographe d’Hitler
Wilhelm Herzog, écrivain antifasciste
Berthold Jacob, pacifiste, journaliste,
Siegfried Kracauer, critique de cinéma
Jean Malaquais, romancier
Golo Mann, historien
Heinrich Mann, romancier
Valeriu Marcu, historien
Walter Mehring, poète
Hans Natonek, humoriste
Ernst-Erich Noth, écrivain
Hertha Pauli, romancière
Benjamin Péret, poète
Alfred Polgar, essayiste
Hans Sahl, romancier
Jacques Schiffrin, éditeur (créateur des éditions de la Pléiade)
Victor Serge, romancier
Franz Werfel, romancier

science et philosophie

De Castro, faculté des Sciences, université de Madrid
Emil S. Gumbel, statisticien
Jacques-Salomon Hadamard, mathématicien
Alfredo Mendizabel, professeur de philosophie, université de Madrid
Otto Meyerhof, physiologiste, prix Nobel (1922)
Boris Mirkine-Guetzevitch, professeur à la Sorbonne
Peter Pringsheim, physicien
Bruno Strauss, psychiatre

militants politiques

Walter Benninghaus, social-démocrate allemand
Franz Bœgler, socialiste allemand
Ladislas Dobos, antifasciste hongrois
Klaus Dohrn, monarchiste autrichien
Bedrich Heine, socialiste allemand
Otto Klepper, ancien ministre des Finances de Prusse
Fritz Lam, socialiste allemand
Giuseppe Modigliani, leader du Parti socialiste italien
Heinrich Mueller, syndicaliste allemand
Wilhelm Pfeffer, socialiste allemand
Gustavo Pittaluga, Commission de Santé de la Société des Nations
Friedrich Stampfer, ancien député socialiste au Reichstag et rédacteur du Vorwaerts, organe du parti ouvrier allemand
Hans Tittle, socialiste allemand
Arthur Wolff, avocat  

Marseille Année 40 © Pierre Sauvage et Fondation Chambon, 2001
© Éditions Phébus, 2001, pour la présente édition
Traduction reproduite avec l'autorisation des Éditions Phébus

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